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Réintroduction du mammouth au Yukon : un projet controversé


Le 31 janvier 2024, l’innovateur Yukonnais Jim Coates a présenté devant une quarantaine de personnes les principales raisons de la fonte du pergélisol dans le territoire du Yukon et l’une des solutions pour la freiner. Selon lui, la réintroduction du mammouth laineux qui vivait durant l’époque glaciaire dans ce territoire pourrait être un moyen de ralentir la dégradation du pergélisol.


Nelly Guidici – IJL

Réseau.Presse – L’Aquilon – Arctique


Jim Coates, qui a créé l’entreprise Kryotek Arctic Innovation inc. en 2007, est un innovateur qui a déjà créé plusieurs outils pour mesurer les effets du réchauffement climatique dans le Nord. Utilisant à la fois ses connaissances sur le pergélisol, la prospection minière et l’intelligence artificielle, il a notamment mis au point des capteurs appelés Frostlink qui permettent non seulement de prévoir et de cartographier le dégel du pergélisol, mais aussi estimer les émissions de gaz à effet de serre. 

À ce jour, plus de 30 capteurs ont été installés dans plusieurs parcs nationaux de l’Arctique occidental, notamment à Aulavik sur l’ile Banks aux Territoires du Nord-Ouest, à Ivvavik dans l’extrême nord du Yukon ainsi que dans le site canadien des pingos à Tuktoyaktuk, au sud d’Inuvik le long de la route de Dempster, aux TNO et près d’Eagle Plains au Yukon. 


Selon Jim Coates, la neige peut, lorsqu’elle est tassée, ralentir la fonte du pergélisol en le maintenant à une température sous le point de congélation. Le mammouth laineux, dont la taille variait entre trois et cinq mètres et pesait jusqu’à cinq tonnes, peut par sa force tasser quotidiennement un hectare 1/2 de neige. Aucune estimation chiffrée n’a cependant été avancée par M. Coates. 

« Je ne peux pas dire combien de mammouths seraient nécessaires pour faire la différence, si ce n’est que la science indique que le tassement de la neige peut ralentir le dégel du pergélisol et que les mammouths pourraient hypothétiquement tasser beaucoup de neige. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour en dire plus, » a-t-il précisé dans un échange de courriels avec Médias ténois. 



Jim Coates pense que la réintroduction du mammouth laineux au Yukon pourrait ralentir la fonte du pergélisol. Le tassement de la neige peut ralentir le dégel du pergélisol et les mammouths pourraient hypothétiquement tasser beaucoup de neige selon lui. (Photo : J. Coates)


Jim Coates est membre du conseil consultatif de la conservation au sein de la compagnie américaine Colossal Biosciences, basée au Texas, depuis 2022. Créée en 2021 par Ben Lamm et George Church, cette entreprise de biotechnologie et de génie génétique déclare « lutter pour la préservation et la restauration de la biodiversité en déclin sur Terre, par la réintroduction d’espèces animales éteintes » dont le mammouth laineux. 

« Il s’agit de fusionner la biodiversité du passé avec les innovations du présent dans le but de créer un avenir plus durable, » peut-on lire sur le site Internet de la compagnie.


La vision des Premières Nations absente 

Lors d’une entrevue, Ben Lamm, l’un des cofondateurs de Colossal Biosciences a mis de l’avant la transparence de leur projet et de leur processus. À ce jour, les avancées de la science ne permettent pas d’avancer une date précise de réintroduction du mammouth dans l’Arctique et Ben Lamm estime qu’il faudra attendre encore dix ans avant qu’une telle idée ne se concrétise. 

« En ce qui concerne les mammouths, même si nous réussissons sur notre lancée d’ici 2028, ces animaux ne seront pas prêts à être réintroduits dans la nature avant au moins six ans. Il nous reste donc une bonne dizaine d’années avant d’envisager de remettre les animaux en liberté dans le cadre d’un programme de relâchement mesuré dans l’Arctique, » pense-t-il. 

Aucune des Premières Nations du Yukon n’a été contactée dans le cadre de ce projet. Pour Sean Smith, le chef de la Première Nation Kwanlin Dün, cette situation est regrettable. En effet, lorsqu’il est question de réintroduction d’espèces, les Premières Nations ont des réserves quant aux conséquences sur la biodiversité existante. 


Laurence Fox coordonne les campagnes au sein de l’organisme CPAWS Yukon qui se consacre à la protection de la nature et des espaces sauvages au Canada. Selon iel, non seulement la technologie sur laquelle Colossal travaille est purement spéculative, mais en plus, l’absence de collaboration avec les Premières Nations du Yukon est scandaleuse. 

« Il n’y a aucune chance que cela puisse aller de l’avant sans consultation des Premières Nations. L’idée de proposer une telle chose sans consultation est une insulte à nos partenaires autochtones. »

D’après le chef Smith, la lutte contre l’extinction accélérée des espèces animales et végétales devrait plutôt se concentrer sur la préservation des espèces encore existantes. Rappelant que les espèces sont toutes interconnectées et que les Premières Nations ont des liens forts avec la biodiversité que ce soit pour l’alimentation, la médecine ou la culture, il estime que les Premières Nations, en tant que Gardiens du territoire ont un rôle primordial à jouer. 

« Notre histoire, notre passé [expriment] ces valeurs fondamentales de ce que nous considérons comme important avec notre culture et de quelle façon nous devons être les gardiens du territoire, » précise-t-il.


Au cœur des discussions

Colossal Biosciences estime que le scénario de réintroduction du mammouth en Arctique ne se concrétisera pas avant une dizaine d’années. Dans ce laps de temps, Ben Lamm prévoit de travailler avec les différents gouvernements et partenaires, y compris les Premières Nations pour aller de l’avant avec ce projet. Même si une conversation est en cours en Alaska, Ben Lamm prévoit de démarrer ce processus au plus tard l’année prochaine au Canada.

« Notre plan est très mesuré, élaboré en collaboration avec les groupes autochtones, les Premières Nations et bien d’autres. J’aime à penser que Colossal adopte une approche réfléchie de la réintroduction d’espèces dans la nature. Je préfèrerais le faire très lentement et méthodiquement pour bien faire les choses et être aussi inclusif que possible. » 



L'absence de communication et de collaboration avec les Premières Nations du Yukon est regrettable pour le Chef de la Première Nation Kwanlin Dün, Sean Smith. (Photo : Kwanlin Dün First Nation)


Le chef Sean Smith a une autre vision des choses. La science et l’innovation, à la lumière de la réconciliation, devraient inclure systématiquement les Premières Nations concernées dès les prémices de tout projet de recherche au Yukon. Une communication claire et transparente est à la base de ce processus selon lui.  


« La communication est importante pour nous aider à comprendre ce qui est proposé dans notre région. Oui, ce sont des choses importantes basées sur la réconciliation. Cela signifie qu’il faut nous informer, s’assoir avec nous, partager l’idée et aborder toutes les préoccupations que nous avons au sujet des projets proposés. » 

Par ailleurs, onze des quatorze Premières Nations du Yukon ont signé des accords d’autonomie gouvernementale. Ces accords sont très importants pour le chef Smith et signifient que rien ne peut être fait sans leurs accords.

« Si [Colossal Biosciences] veut faire quoi que ce soit au Yukon, ils doivent s’assoir avec nous, et je ne suis qu’une personne, je ne fais qu’essayer de créer des ponts et d’aider les gens [de ma communauté] à comprendre. »


Concrétiser la réconciliation dans la recherche

Un document appelé Vers la réconciliation : 10 appels à l'action pour les scientifiques travaillant au Canada présente dix actions concrètes à l'intention des spécialistes des sciences naturelles afin de favoriser la réconciliation dans leur travail. 

Ce document publié le 1er octobre 2020 a été préparé en collaboration entre l’Université de Waterloo en Ontario, Parcs Canada et la Première Nation Kluane au Yukon et fournit des lignes directrices à l'intention des chercheurs. Le dernier appel demande par exemple “ à l'ensemble des spécialistes des sciences naturelles et les établissements de recherche postsecondaire à développer une nouvelle vision de la conduite des sciences naturelles : intégrer fondamentalement la réconciliation dans tous les aspects de la démarche scientifique, de la formulation à l'achèvement du projet.”


Le méthane est un puissant gaz à effet de serre dont le potentiel réchauffement climatique à l’échelle planétaire est plus de 80 fois supérieur au dioxyde de carbone sur 20 ans. ⅓ des émissions canadiennes de méthane sont produites par le secteur de l’agriculture et les émissions potentielles de méthane produites par les mammouths qui étaient herbivores, soulèvent de grandes inquiétudes auprès des différentes Premières Nations du Yukon. Ben Lamm estime, pour sa part, que des données supplémentaires doivent être collectées afin de modéliser les émissions potentielles de méthane par les mammouths. 


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